L’agriculture est aujourd’hui confrontée au défi d’allier des performances économiques, sociales et environnementales. Il est question de répondre aux besoins futurs de la population mondiale, en produisant des denrées alimentaires de bonne qualité́, nutritives, à un prix abordable, dans un monde qui abritera bientôt plus de 9 milliards d’individus. Ces défis sont accentués par un impératif environnemental fort, il s’agit de limiter l’empreinte carbone de la production agricole, la pollution des sols, de l’eau mais aussi de préserver la biodiversité. Enfin, l’urbanisation croissante de la population et les failles des échanges mondiaux révèlent la nécessité de repenser la géographie des chaînes de production alimentaire.
Ainsi, il est important de considérer la diversité des pratiques dites agroécologiques et leur potentiel pour permettre aux systèmes agricoles de s’inscrire dans un développement durable.
Alors que les agricultures familiales, les exploitations de petite taille, l’agriculture biologique ou divers systèmes sont promus afin de limiter l’impact environnemental de nos chaines de production alimentaire, cet article propose de dresser le potentiel de l’innovation numérique. La numérisation de l’agriculture apparait en effet aujourd’hui comme une solution stratégique qui permettrait de combiner le maintien ou l’accroissement de la production agricole, en conciliant économie et écologie.
Lorsque l’on parle d’agriculture numérique, c’est l’application des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le domaine agricole que l’on considère. On parle d’agriculture connectée ou d’agriculture 4.0 et de nombreuses technologies existent, dont l’adoption peut constituer un pas vers une agriculture plus soucieuse de l’environnement.
Mais de quelles technologies s’agit-il ? Globalement, la transformation numérique de l’agriculture se structure autour des données et de l’utilisation de celles-ci. Le spectre des techniques en matière de numérisation de l’agriculture et des exploitations agricoles est assez large et va des solutions low-tech qui utilisent divers dispositifs et plateformes pour fournir des décisions de gestion et services, aux « fermes numériques » de haute technologie. Robots, capteurs embarqués, drones, big data, autant d’outils qui permettent d’améliorer le rapport entre agriculture et environnement. Ils permettent en effet de collecter des informations sur le climat, les sols, les cultures. Mais si la collecte de données au sein des exploitations agricoles n’est pas nouvelle, c’est l’analyse de ces données, désormais automatisée via l’intégration d’outils intégrant une expertise agronomique ou économique, qui constitue la révolution majeure en cours.
Le secteur de l’alimentation et de l’agriculture est en passe de devenir le second plus grand utilisateur de drones. L’utilisation des drones, qui participe à ce qu’on appelle l’agriculture de précision, a en effet plusieurs avantages économiques et environnementaux. Par exemple, leur utilisation permet de cibler les différentes actions sur une exploitation agricole. L’utilisation combinée d’un drone et d’une application traitant les données récoltées permet de moduler l’irrigation ou l’apport d’intrants au mètre près. Les économies faites peuvent être conséquentes, mais surtout, ces technologies permettent de limiter la pression sur les écosystèmes : moins d’eau, moins d’intrants chimiques.
Aux côtés des drones, les satellites ont fait leurs preuves en matière de GPS ou d’autres systèmes, permettant le pilotage des outils agricoles et d’optimiser leur utilisation en réduisant les pressions sur l’environnement, en réduisant par exemple l’utilisation de carburants. Également, l’usage des techniques d’imagerie satellites tend aussi à augmenter. Leurs apports sont nombreux. En permettant de collecter des informations sur les prévisions météorologiques, informations sur les sols, ou encore sur les maladies et autres stress des cultures, l’imagerie satellite permet d’assurer un suivi et d’agir pour préserver les potentiels de rendements. L’intérêt ? Dans un contexte de pression croissante sur ces potentiels de rendements (labourage et érosion, changement climatique…), ces outils constituent un moyen de prévention et donc d’adaptation non négligeable.
Autre exemple et illustration majeure de l’agriculture numérique : la big data. Les chaines de valeur agricoles sont à penser dans les similarités et interdépendances qui existent entre les territoires. La constitution d’une base de données qui fournit des outils d’interprétation des données des parcelles aux agriculteurs et utile à l’échelle d’une exploitation, mais les bases de données et progrès en connectivité permettent aussi d’élargir leur impact en facilitant la communication à l’échelle d’un territoire. Par exemple, un agriculteur qui verrait ses cultures infectées par un insecte a la capacité de diffuser l’information du risque aux parcelles voisines, de permettre aux autres agriculteurs d’anticiper les risques et sécuriser leurs cultures. Le regroupement de toutes ces informations et leur diffusion permet d’augmenter la capacité de prédiction des acteurs, en recoupant différents aspects et les traitant. Cet apport est d’autant plus important face aux risques climatiques, les TIC permettent de fournir une alerte face aux risques de sécheresse ou d’inondations.
L’agriculture numérique a d’autres fonctions allant au-delà de la protection de l’environnement. Elle peut stimuler l’emploi dans des zones désertées par les jeunes, faciliter le travail des exploitants agricoles via sa fonction d’aide à la décision, limiter les risques par ses capacités prédictives et sécuriser les situations de nombreux agriculteurs – notamment dans des zones où la vulnérabilité face au changement climatique augmente.
Cependant, quelques limites peuvent aussi être mentionnées. Premièrement, les TIC du secteur agricole ne sont pas accessibles au plus grand nombre, par leur coût et la technicité de leur utilisation. Puis, elles peuvent être à la source d’un accroissement des inégalités entre acteurs et territoires. Par exemple, elles nécessitent un accès important à l’électricité et réseaux de communication, ce qui n’est pas garanti dans certaines zones où elles pourraient pourtant avoir le plus de conséquences positives. Également, elles peuvent être critiquées quant à leur processus de fabrication, notamment gourmand en énergie et matériaux. Enfin, l’agriculture numérique est loin de répondre à toutes les problématiques rurales comme l’accès aux terres, la santé, l’éducation.
Plus généralement, l’innovation dans le secteur agricole est un environnement complexe qui requiert un certain soutien, au travers des infrastructures nécessaires, de la formation, de son financement. Son évolution doit être considérée en tenant compte des acteurs multiples qui sont impliqués et de sa complémentarité avec différentes pratiques agroécologiques. Les gouvernements, la société civile, le secteur privé et les agriculteurs ont un rôle à jouer et conditionnent le succès du développement ainsi que de l’adoption de pratiques agricoles sur la voie des objectifs de développement durable.
Sources
Ministère de l’agriculture et de l’alimentation. 2014. “Le Recours Aux Satellites En Agriculture : Évolutions Récentes et Perspectives.” Les Publications Du Service de La Statistique et de La Prospective, 1–4. http://www.agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/analyse671402.pdf.
OECD. 2018. “Digital technologies in food and agriculture: Reaping the benefits”, Summary Record: Global Forum on Agriculture, 14-15. May 2018.
FAO. 2017. Success Stories on Information and Communication Technologies for Agriculture and Rural Development. Rome. http://www.faoorg/3/a-i6733epdf